2014/12/18

Ophélie

Sur l’onde calme et noire où dorment les étoiles
La blanche Ophélia flotte comme un grand lys,
Flotte très lentement, couchée en ses longs voiles…
- On entend dans le bois lointains des hallalis.

Voici plus de mille ans que la triste Ophélie
Passe fantôme blanc, sur le long fleuve noir.
Voici plus de mille ans que sa douce folie
Murmure sa romance à la brise du soir.

Le vent baise ses seins et déploie en corolle
Ses grands voiles bercés mollement par les eaux;
Les saules frissonnants pleurent sur son épaule,
Sur son grand front rêveur s’inclinent les roseaux.

Les nénuphars froissés soupirent autour d’elle ;
Elle éveille parfois, dans un aune qui dort,
Quelque nid, d’où s’échappe un petit frisson d’aile :

- Un chant mystérieux tombe des astres d’or.

Arthur Rimbaud

2014/12/16

Utopia - Jour 31

Je me lasse de tout trop vite. Je m’ennuie trop rapidement. J’ai besoin d’en avoir trop, d’en avoir beaucoup, d’en avoir souvent. Faut que je sois défiée, comme si j’allais perdre, comme si je devais gagner.

J’ai besoin de changer, besoin de renouveler, besoin de performer. J’ai besoin qu’on me chasse, qu’on me surprenne, qu’on soit fou. J’ai besoin qu’on m’apprenne. J’ai besoin d’utopie.

Je me fatigue de ce qui n’est pas plus fort que moi. De ce que je ne maîtrise pas vraiment.

Je ne sais pas ce qu’est mon probleme. Ou en est-ce un? Still don’t fully understand my wiring. Mais c’est là, au fond, un programme latent, un cheval de Troie.

Je ne voulais pas que mon fils ressente cette même faim. Je suis morte un peu pour qu’il ne la perçoive pas en changeant de vie. Je suis morte, mais j’ai gagné.

Ce texte paraît dans le cadre du Défi 31 Jours.

2014/12/15

Trop tôt - Jour 30


Chez Starbucks. Where else? Le jeune home au comptoir est seul. Trois personnes dans la file d’attente. À mon tour d’être servie. Polie, je baisse le volume et laisse pendouiller mon oreillette gauche.

- « Un mochaccino grande et un gruau s’il vous plait », je demande en souriant.
- « Un macchiato? », me reprend-il sans façon.
- « Non, mochaccino »
- « C’est un macchiato? »
- « … »

Il me fixe. Je le fixe. Musique de Twilight Zone dans ma tête. Extra-terrestre? Un nouveau? Quelle subtilité ai-je omise? C’est quoi cette question? Depuis quand les employés de Starbucks ne sourient pas? Pourquoi tous les autres comprennent quand je demande un mochaccino? Depuis quand c’est aux clients de connaître le menu par cœur? Et, yo, toi le jeune, tu sais quelle heure il est?

J’ai la mèche un peu courte ce matin, le service à la clientèle fragile.

Comme une pro, je pince les lèvres pour retenir mes sarcasmes et porte mon regard sur l’énorme menu lumineux situé derrière la caisse. Je trouve l’item, décrispe les lèves et envoie « un café mocha ». « Aaaahhhhhhhhhh! Un mo-chaaaaaaa ! », s’exclame le jeune homme.

Je salue la divinité qui est en lui en lieu de pouvoir gifler son impertinence. Maudit karma.

« Quelle grandeur? », il me demande. Je répète. Poliment. En trois langues. Je dis « Grande » en italien, « Moyen » en français et je pointe le verre correspondant sur le présentoir. Ses doigts s’activent sur la caisse. Je me détends, il a compris.

- « C’est tout ? »

Un ange passe.

- « Avec un gruau ».
- « Un gruau régulier? »
- « ... »

Il me fixe. Je le fixe. Je me demande mentalement à quoi ressemble un gruau irrégulier. Un gruau dans lequel je pourrais le noyer? Je re-pince les lèvres, j’ai le sarcasme vraiment fragile ce matin et porte mon regard sur l’encart promotionnel en face de lui. Il y est écrit « gruau » sous la photo d'un bol de l'appétissante et fumante mixture. Il me fixe toujours. J’étire le bras, agrippe l’encart, le lui montre. Ça semble suffisant, ses doigts se remettent à s’activer sur sa caisse.

Pendant que je repose l’affichette, une jeune fille arrive. Du renfort semble-t-il. On est maintenant quatre dans la file d’attente. Ça frôle le débordement à en juger son regard paniqué. « Tu sais comment faire du gruau » qu’il lui demande. « Euh… nnnon!» qu’elle répond du même ton que si on lui avait demandé de faire une petite brassée de lavage avec ça. Il la fixe. Elle le fixe. Je soupire. « Laisse tomber le gruau » que je dis. « Je vais prendre un muffin ».

Ce texte paraît dans le cadre du Défi 31 Jours.

2014/12/13

De l'intérieur - Jour 29

Quand on ferme les yeux, on se ramène à soi. On perçoit la température sur sa peau, on saisit le détail des sons qui nous entourent, on perçoit le battement du sang à ses oreilles. C’est seulement les yeux fermés qu’on arrive à décoller sa langue autrement plaquée au palais, qu’on relâche l’étau de ses mâchoires, qu’on respire avec le bas des poumons et qu’on redescend ses épaules.

Les yeux fermés, on voit plus clair.

Ce texte paraît dans le cadre du Défi 31 Jours.

2014/12/07

Party - Jour 28

Pas très friande des partys de bureau. Trop de stimuli. Je préfère être en retrait et observer plutôt que de papillonner de table en table. Tant à voir…

Il y a ce monsieur un peu gauche qui travaille à l’autre étage et qui se cherche un micro quand Living on a prayer débute. Il troque sa timidité pour sa fourchette et se la chante à genoux comme s’il n’y avait pas de lendemain. 

Il y a des dames qui se sont faites coiffer et qui arborent de nouvelles tenues. Certaines ont des brillants dans les cheveux, d’autres étrennent des chaussures à talons. Des épaules et des dos sont dénudés. Les messieurs portent des vestons et montrent parfois un nœud papillon.

Il y a les conjoints et conjointes qui se disent que c’est juste un moment à passer. Une fois par année, ils se reconnaissent et s’accrochent les uns aux autres. Ceux-là méritent mention.

Il y a aussi les commentaires sur les plats servis. Comme d’habitude, on entend que « c’est un peu sec », que « la soupe pourrait être plus chaude », « qu’on manque de pain ». On mange pourtant comme des rois.

Et il y a ceux qui se lancent des regards languissants et qu’on sait qu’ils continueront de danser bien après que la musique se soit tue. À ceux-ci on souhaite absence de malaise lundi.

Ce texte paraît dans le cadre du Défi 31 Jours.

2014/11/24

Ladybug - Jour 27


Une coccinelle a élu domicile chez moi depuis un bon mois déjà. Elle se tient autour d’une des lampes du salon. Elle doit s’y chauffer.

Habituellement, je remets à la nature les petites bêtes qui se faufilent dans mon domicile. Mais il commençait à faire frisquet quand j’ai fait monter la ladybug sur mon doigt. Aurait-elle le temps de trouver une roche sous laquelle s’abriter avant de congeler? J’ai refermé la fenêtre et déposé ma nouvelle amie près de la lampe. Faut croire qu’elle a aimé l’endroit.

Elle est au plafond présentement, petit point sombre sur fond blanc. Aurais-je autant de compassion pour un humain atterrissant au pas de ma porte et voulant se réchauffer?

Quand la température tombe, qu’il y a une bordée de neige, j’ai une pensée pour les sans-abris. Je prie pour qu'ils aient une roche sous laquelle s’abriter et qu'une lumière pourra les réchauffer.

Je prends tant de chose pour acquis alors que je suis – Oh! Combien! – si privilégiée. Extraordinaires sont les êtres comme Pops, tout à la fois refuge et lumière. Gratitude. Don.

Ce texte paraît dans le cadre du Défi 31 Jours.

2014/11/23

Le yéti - Jour 26

Mi-figue, mi-raisin, je dis à la blague depuis des années que je suis un yéti quand les échanges sur la température autour de la machine à café deviennent plus personnels. Des efforts intenses d’impassibilité me sont nécessaires pour continuer à sourire quand le fatal: « Pars-tu dans le sud? » arrive immanquablement.

C’est que j’ai un système de chauffage interne qui diffère largement de celui de la moyenne;  j’ai toujours chaud. En fait, pour être précise, je devrais plutôt dire que j’ai rarement froid. Très rarement froid. Je suis née avec deux batteries qui fonctionnent plein régime à longueur d'année.

L’été me trouve amorphe en milieu d’après-midi. Les canicules me tuent. Je souffre à seulement voir quelqu’un se faire dorer comme un poulet. Quand un goût d’évasion me prend, c’est aux Highlands ou à la Scandinavie que je pense, jamais à une plage des tropiques. Les journées de brouillard et de frimas me sont mille fois plus romantiques que les sables brûlants.

Je suis donc ravie de la neige qui couvre ce soir les gazons. C’est joli et insonorisant. Ça enveloppe comme un cadeau. Les enfants d’en face ont fait plein d’anges sur le parterre. Mon voisin, heureux, a fait vrombir sa souffleuse, juste comme ça, pour rien. Les branches brillent près du lampadaire, là où s’est déposé le verglas. Tout à la fois, c’est léger et figé et moelleux. Comme une guimauve.

Je m’installe devant la fenêtre et je regarde. Il n’y a que le ronron du frigo. La fraîche sur mes pieds nus. La chaleur de la tasse entre mes doigts. Un peu de givre sur le coin de la vitre. Je suis ici, maintenant. Namaste, Hiver.


Ce texte paraît dans le cadre du Défi 31 Jours.